Revue des marchés

AVRIL 2023

Un casse-tête en trois dimensions

Après un mois de mars mouvementé et ponctué par des perturbations au sein du secteur bancaire, la plupart des segments de marchés ont tout de même terminé avec des rendements positifs depuis le début de l’année. Le S&P 500 a gagné 7,03%, supporté par la performance spectaculaire des géants technologiques américains.

Pour les obligations, le premier trimestre de 2023 n’a pas été de tout repos et la volatilité a même monté d’un cran en mars. Pourquoi une telle volatilité sur les marchés obligataires ? Pour la Réserve fédérale, l’apparition de fragilités financières est venue ajouter une troisième dimension à un casse-tête déjà bien complexe. Ainsi, en plus du dilemme habituel entre (1) inflation et (2) marché de l’emploi, la banque centrale doit maintenant composer avec des risques accrus pour (3) la stabilité financière. Faisons le point sur une situation pour le moins délicate.

Ramener l’inflation à 2 %…

Voilà maintenant plus d’un an que la Réserve fédérale a débuté son cycle de hausses de taux afin de ramener l’inflation à sa cible, et force est d’admettre que le progrès s’avère beaucoup plus lent qu’anticipé. Non seulement l’inflation de base (celle qui exclut les aliments et l’énergie) demeure toujours bien au-delà de la cible, mais cela fait maintenant trois mois consécutifs qu’elle augmente sur une base mensuelle.

Du côté des mesures plus fondamentales, le progrès tarde à se faire sentir également. En effet, la variation annuelle des indices IPC et PCE médians1 se situe à un sommet de plus de 40 ans. Ce n’est certainement pas ce que la Fed souhaite voir après avoir relevé ses taux de 475 points de base en un an, soit le cycle de resserrement monétaire le plus agressif depuis le début des années 1980.

Pour la suite, il faudra suivre de près l’évolution du prix des intrants pour les entreprises, ceux-ci étant souvent précurseurs des prix auxquels feront ultimement face les consommateurs. À cet égard, le portrait est un peu plus encourageant; les enquêtes mensuelles de l’Institute of Supply Management (ISM) montrent que les indices de prix payés ont nettement diminué depuis leur sommet postpandémique.

… et maintenir le plein emploi…

En ce qui concerne l’atteinte du plein emploi, à bien des égards, la Fed semble plutôt avoir surpassé son objectif, ce qui n’est pas nécessairement souhaitable. Après tout, le taux de chômage américain se situe présentement bien en-dessous du seuil (théorique) de taux de chômage qui n’accélère pas l’inflation. En principe, cela implique qu’il faudrait ultimement voir le chômage augmenter afin que l’inflation puisse retourner à sa cible, et c’est exactement ce que la banque centrale anticipe dans ses dernières projections (elle voit le taux de chômage augmenter à 4,5 % d’ici la fin de 2023).

À ce sujet, quelques signes avant-coureurs d’un affaiblissement du marché du travail sont apparus au cours des derniers mois. Entre autres, le nombre d’avis de licenciement anticipé en vertu de la loi WARN2 est présentement en forte augmentation, ce qui précède normalement une hausse des nouvelles demandes d’assurance-chômage.

De plus, le ralentissement de l’activité manufacturière, qui est un indicateur avancé de la croissance économique, continue de prendre de l’ampleur. En effet, parmi les 18 industries couvertes par l’enquête de l’ISM manufacturier, seulement deux sont en croissance, la pire lecture depuis la récession de 2008-2009

Soyons clairs, malgré les nuages qui se profilent à l’horizon, l’emploi américain demeure pour le moment très vigoureux. En temps normal, ce contexte aurait probablement milité pour que la Fed poursuive son cycle de resserrement encore un certain temps, tel que le marché l’escomptait il y a à peine un mois. Or, une troisième considération pour la politique monétaire a brouillé les cartes en mars: la préservation de la stabilité financière.

… tout en préservant la stabilité financière

Le 10 mars, l’effondrement éclair de la Silicon Valley Bank (SVB) représentait la deuxième plus grande faillite bancaire de l’histoire des États-Unis (derrière Washington Mutual en septembre 2008). Les perturbations se sont rapidement propagées au sein du secteur bancaire, et même au-delà des frontières américaines avec l’acquisition forcée de Crédit Suisse par sa rivale UBS.

Si l’élément déclencheur de la saga SVB est une gestion du bilan beaucoup trop risquée3, ces problèmes s’inscrivent dans un contexte plus large de fortes pressions à la baisse sur les dépôts bancaires, qui compétitionnent avec des taux de rendement de plus en plus attrayants du côté des marchés monétaires. Spécifiquement, les dépôts auprès des banques commerciales ont diminué de 4 % par rapport à leur sommet d’avril 2022, le recul le plus important depuis septembre 20014.

Maintenant, la fermeture de SVB a attiré l’attention sur cet exode des dépôts, particulièrement au sein du secteur des petites banques régionales, ces dernières étant naturellement plus vulnérables aux paniques bancaires. Ainsi, au cours des deux semaines suivantes, les dépôts auprès des petites banques ont fortement diminué.

En réponse à la tourmente au sein du secteur, la Réserve fédérale a rapidement mis sur pied une facilité de crédit afin d’aider les banques en difficulté, entraînant un rebond considérable de son bilan : près de 364 milliards de dollars en seulement trois semaines. À titre de comparaison, il aura fallu à la Fed près d’un an pour réduire son bilan de 623 milliards de dollars dans le cadre de son programme de resserrement quantitatif (Quantitative tightening ou QT).

Or, une mise en garde s’impose en ce qui concerne l’interprétation de ces chiffres. Bien que spectaculaire, cette augmentation du bilan ne représente pas une nouvelle phase d’assouplissement quantitatif (Quantitative easing ou QE). Alors que le QE consiste en l’achat de titres financiers auprès des banques afin de stimuler l’économie, la nouvelle facilité de crédit n’est qu’un exemple d’une banque centrale qui joue son rôle de prêteur de dernier ressort. Dans les faits, le programme de QT de la Fed est toujours bien en marche et les titres financiers détenus sur le bilan continuent de diminuer graduellement.

La conclusion

Au final, quel sera l’impact des perturbations bancaires sur la politique monétaire et l’activité économique ? Pour le moment, les marchés escomptent plusieurs baisses de taux avant la fin de l’année, alors que c’était plutôt de nombreuses hausses qui étaient anticipées avant l’effondrement de SVB.

Cette forte réaction s’explique par la nature foncièrement déflationniste des crises bancaires, éliminant potentiellement le besoin pour la Fed de continuer son cycle de resserrement face à une inflation qui ralentirait plus rapidement qu’initialement anticipé. De manière simplifiée, l’exode des dépôts force les banques à devenir beaucoup plus conservatrices dans l’octroi de nouveaux prêts, entraînant un resserrement des conditions de crédit et donc un vent de face pour l’activité économique et l’inflation.

Maintenant, ce qui rend la situation actuelle si délicate, c’est le fait qu’avant même les bouleversements de mars, la proportion nette de banques américaines resserrant leurs critères d’octroi des prêts était déjà à un niveau similaire à celui observé au début des quatre dernières récessions.

Dans l’ensemble, nous voyons l’apparition de fragilités financières comme un élément de plus à la liste grandissante de signaux qui appellent à la prudence. Ainsi, alors que notre scénario de base demeure largement inchangé par rapport au mois dernier (fin des hausses de taux en première moitié d’année, stagnation économique en deuxième moitié), nous percevons maintenant la balance des risques pencher encore plus à la baisse. De plus, si les baisses de taux qu’anticipent les marchés en 2023 ne sont pas impossibles, il convient de souligner qu’il faudra probablement une récession pour qu’elles se matérialisent.

Pour terminer, nous vous rappelons que les gestionnaires de portefeuilles avec lesquels nous travaillons continuent d’investir en tenant compte du contexte actuel et en privilégiant les entreprises de qualité qui offrent de bonnes perspectives de croissance.

N’hésitez pas à nous contacter pour parler de la situation économique ou pour toute question sur la gestion de votre patrimoine.

Source : Banque Nationale Investissements

1 En excluant les valeurs aberrantes (variations de prix faibles ou importantes) et en se concentrant sur l’intérieur de la distribution des variations de prix, les indices IPC et PCE médians peuvent fournir un meilleur signal de la tendance sous-jacente de l’inflation.

2 Cette loi oblige les grands employeurs américains à informer les travailleurs concernés au moins 60 jours avant un éventuel licenciement collectif.

3 Voir notre commentaire du 13 mars « Banques régionales américaines en tourmente » pour plus de détails.

4 Ce dernier ayant été causé par des problèmes techniques suite aux attaques terroristes du 11 septembre, il faut plutôt reculer jusqu’en 1981 pour retrouver un recul comparable à la situation actuelle.

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